RDC : la plainte contre un hippopotame au Sud-Kivu relance le débat sur la protection de la faune

RDC : la plainte contre un hippopotame au Sud-Kivu relance le débat sur la protection de la faune

Un hippopotame est au cœur d’une plainte pour le moins inhabituelle déposée au Tribunal de paix de Fizi, dans l’est de la République démocratique du Congo. Le Mwami Félicien Kiza Kilozo, chef coutumier du village de Simbi, accuse l’animal de « sèmer la terreur » en détruisant les cultures et menaçant la population. Dans sa plainte, déposée mercredi 27 novembre 2024, il demande l’abattage de l’hippopotame, arguant que « la vie d’un humain ne peut se comparer à celle d’une bête ».

Cette requête soulève un vif débat juridique et environnemental. La Société Civile Environnementale du Sud-Kivu (SOCEARUCO) s’oppose fermement à l’abattage, rappelant que l’hippopotame est une espèce protégée. Dans une correspondance adressée à l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN), la SOCEARUCO plaide pour le refoulement de l’animal dans son milieu naturel, soulignant les sanctions prévues par l’article 78 de la loi n°14/003 du 11 février 2014 sur la conservation de la nature. Toute personne tuant ou blessant un spécimen d’espèce protégée encourt une peine de servitude pénale allant d’un à dix ans, ainsi qu’une amende.

Maître Fiston Moenga, juriste, chercheur en droit environnemental, minier et des assurances, estime quant à lui que la plainte est recevable, mais que la demande d’abattage est inappropriée. Il fait référence à l’article 15, alinéa 2, de la même loi, qui stipule que les populations riveraines doivent alerter les autorités compétentes en cas de présence d’animaux protégés en dehors de leur habitat naturel. « C’est ce qu’ils ont fait en alertant le procureur », dit-il. Selon lui, la plainte aurait dû demander le refoulement, et non l’élimination de l’animal. L’abattage ne serait justifié qu’en cas de légitime défense face à une menace réelle pour la population.

Un hippopotame grognant/Photo crédit : MKAAJI MPYA ASBL

L’avocat pointe également une responsabilité de l’État dans cette situation. « Il faudrait que le milieu de ces espèces soit bien aménagé, qu’il y ait des nourritures. Si ces conditions ne sont pas réunies, ces animaux vont toujours fréquenter les cités. Il faut se demander quelle nourriture ils mangent le plus pour leur en offrir », renchérît-il.

Arnold Lubamba juriste et chercheur des questions environnementales rappelle l’importance de la sensibilisation de la population pour barrer l’accès aux zones protégées, et craint que la population riveraine soit attaquée par des agents pathogénes.

Le cas de Fizi n’est pas isolé en RDC. À Kinshasa, les hippopotames sont apparus plusieurs fois, ces dernières années, les longs du fleuve, sur la route allant vers le quartier Mbudi. En 2020, le directeur général de l’ICCN, à l’époque, le docteur-pasteur Cosma Wilungula avait appelé la population kinoise, à l’occurrence, les pêcheurs à ne pas du tout s’inquiéter de la présence de ces pachydermes. « Quand les hippopotames arrivent, tous ces peuples pêcheurs qui œuvrent tout au long du fleuve, devraient se réjouir. Car, cela apporte de l’abondance des poissons », avait-il dit.

Cependant, au bord de la rivière Ruzizi qui sépare la RDC du Burundi, le constat est tout autre, la cohabitation entre hippopotames et villageois a été conflictuelle. D’après un reportage de l’AFP publié en 2022, « au moins sept personnes ont été tuées (depuis 2019) par les grands mammifères, victimes en retour d’une « extermination de masse » selon les défenseurs de l’environnement.

 

L’hippopotame , un animal en danger

En RDC comme dans toute l’Afrique, l’hippopotame est l’un des animaux le plus en danger. Au cours de ces deux décennies, il a connu une réduction de plus de 95% de sa population. Des études comme celle publiée par infoNile en 2023, démontre que l’habitat de cette espèce est en pleine extension. En 2022, le Parc national des Virunga, au Nord-Kivu, par exemple, avait 1300 individus d’hippopotames, soit une réduction de 95 % par rapport au nombre enregistré en 1970. « On ne sait pas combien il reste d’hippopotames à travers l’Afrique. Mais au cours des dernières décennies, cet animal qui jadis était classé de plus dangereux du continent après le lion, plus dangereux que les éléphants et les buffles du Cap, est devenu de plus en plus menacé par la chasse », indique infoNile.

Le commerce illégal, les groupes armés contribuent à l’extinction de ces mammifères. D’après l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), les hippopotames deviennent de plus en plus vulnérables à cause « du trafic illégal et non réglementé de leurs dents, de la demande pour leur viande et de la perte d’habitat ». La communauté locale qui, elle, au lieu de protéger ces espèces, est influencée par les trafiquants internationaux, pour les tuer, ce au dépend d’un maigre bénéfice. Ils gagneraient moins de 10 dollars américains pour un kilogramme de dent de l’hippopotame.

« Les trafiquants préfèrent désormais vendre des dents d’hippopotame plutôt que de l’ivoire d’éléphant, qui est relativement cher », a révélé un ancien braconnier sous l’anonymat. Ces dents et les défenses d’hippopotame sont utilisées autant que les ivoires pour les sculptures décoratives sur les marchés asiatiques et européens. Ils sont moins chers et plus faciles à obtenir que l’ivoire.

Aussi , au bord du lac Tanganyika et dans la plaine de la Ruzizi jusque du côté du territoire de Fizi, l’abattage des hippopotames est devenu une pratique courante. Cette partie de la République Démocratique du Congo est une zone de ce que « nous appelons le « hot spot » de la biodiversité dans le Rift Albertin.  « Des commerçants clandestins viennent de la sous-région et récupèrent les canines des hippopotames pour en faire le commerce. Voilà pourquoi nous nous disons que cette approche où ce sont des militaires, qui au lieu d’utiliser les munitions pour d’autres faits liés à l’intégrité du territoire national mais ils les utilisent pour abattre les hippopotames », s’insurge la Société civile environnementale (SOCEARUCO/Sud-Kivu) au lendemain de la plainte contre cet hippopotame à Fizi. Et ces abattages se font, précise la SOCEARUCO/Sud-Kivu), sous « l’oeil impuissant des autorités malgré la loi sur la conservation et la loi sur la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites) ».

Des cas darrestation des trafiquants

La tête d’un hippopotame abattu / Source de photo : cameroun24.net

La ville de Butembo, au Nord-Kivu, semble malheureusement s’imposer comme un point névralgique du trafic d’espèces sauvages, notamment d’ivoire. Plusieurs arrestations et incidents survenus entre février et juillet 2021. En cette période, des trafiquants d’ivoire ont été appréhendés par les forces de l’ordre. Ces arrestations, intervenues à proximité du parc national des Virunga et du lac Édouard, ont permis de saisir une Trenton de kilogrammes d’ivoire et deux peaux de léopards. Selon Conserv Congo, une ONG environnementale, les suspects se préparaient à exporter leur butin vers l’Ouganda. Il s’agissait de la troisième arrestation de ce type à Butembo en moins d’un an.

La situation est encore plus préoccupante compte tenu d’un incident survenu à la même période. Un commissionnaire trafiquant d’ivoire, recherché par l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN), a été tué par la population. Il était en possession de pointes d’ivoire.

En avril 2021, l’ICCN, en collaboration avec la police, a réussi à arrêter Jackson Muhukambuto, chef d’une milice active dans les territoires de Lubero et Rutshuru. Muhukambuto et sa milice sont accusés d’avoir assassiné 19 gardes du parc national des Virunga, ainsi que de nombreux civils et membres des forces de sécurité, dans le cadre d’opérations de trafic d’espèces sauvages, principalement d’ivoire. Ces événements successifs ont attiré l’attention de plusieurs médias dont Greenafia qui en a réservé un grand espace dans son site.

L’environnementaliste Patrick Kambamba propose de « remonter la trace des braconniers, des agents de terrain au sommet en passant par les intermédiaires ». Cela permettrait, d’après lui, à préserver efficacement cet animal en danger.

Si des chercheurs et experts environnementaux réfléchissent sur comment atténuer le braconnage, un ancien braconnier pense qu’il est déjà difficile dans un contexte où l’Etat ne garantit pas le travail à ceux qui sont censés protéger ces espèces. « sans emploi, je trouvais inconcevable qu’on m’interdise de faire de la chasse dans le parc seul moyen pour me faire rapidement de l’argent. Aussi, quand les responsable recrute de la main d’oeuvre, ils amènent des gens de Beni, de Butembo , de Goma (grandes villes autour du parc)  et d’ailleurs, alors qu’il ne manquent pas à Kyavinyonge des gens incapables  de rendre le service pour lequel le parc recrute. Voilà qui motivent nombreux à détruire les espèces sauvages et envahir les aires protégées », indique Dan (nom d’emprunt) qui confie avoir lui-même déjà abattu « un hippopotame ainsi que quelques autres animaux de ce parc des Virunga ».

Les éco-gardés observent un hippopotame abattu/ Photo tirée sur mediacongo.net

Au Sud-Kivu, au moins trois hippopotames semblent être abattus chaque mois par certains militaires congolais, indique un media local citant de source à l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature.  « L’augmentation de la pression sur les ressources de la Ruzizi, du lac Tanganyika et les zones humides au bord de la rivière Ruzizi ne baisse pas, et la crainte sur des conséquences néfastes sur le tourisme notamment devient de plus en plus grande ».

La SOCEARUCO/Sud-Kivu) exhorte l’Etat à créer des espaces verts à partir des hippopotames qui pourrait aussi générer des emplois. Selon elle, la disparition de cette espèce aurait des conséquences désastreuses sur l’écosystème lacustre et l’économie locale. « Les excréments que ces hippopotames sont en train de jeter dans l’eau conditionnent la multiplication des poissons. Si cette espèce est perdue, on aura plus assez de poissons dans le lac Tanganyika comme nous les avons aujourd’hui », indique la SOCEARUCO/Sud-Kivu).

Au-delà de l’aspect écologique, la préservation des hippopotames revêt aussi une importance économique. La pêche, activité vitale pour de nombreuses communautés riveraines, dépend directement de l’équilibre de l’écosystème lacustre que ces animaux contribuent à maintenir.

Face à la menace croissante pesant sur les hippopotames, notamment le braconnage et les conflits avec les populations, la société civile propose la mise en place de réserves communautaires. Ces réserves, dotées de clôtures, permettraient de délimiter des zones de pâturage et de repos pour les hippopotames, limitant ainsi les interactions avec les humains et réduisant le risque de conflits et de braconnage. La société civile appelle l’État à soutenir ce projet de création de réserves communautaires, soulignant l’urgence de la situation et l’importance de la préservation des hippopotames pour le bien-être des communautés locales et la santé de l’écosystème du lac Tanganyika.

Cet aticle a été produit dans le cadre du projet « Accroître les capacités des médias à mettre en œuvre le cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal en République Démocratique du Congo », avec le soutien d’Internews Europe et Earth Journalism Network, et mis en œuvre par MKAAJI MPYA asbl en collaboration avec KILALO PRESS.

TSHOKUTA Ben André